lundi 16 avril 2018

Charles Fourier

Fondateur du mouvement coopératif et du socialisme associatif. Charles Fourier (1772-1837) est né à Besançon comme Proudhon mais dans une famille de commerçants aisés. Orphelin de père à l'âge de quinze ans, il apprend à vendre draps et denrées coloniales. Mais, peu doué pour le commerce, il se ruine en quelques années et échappe de peu à la guillotine révolutionnaire, non pour ses convictions politiques mais pour ses pratiques affairistes. Il va alors subvenir à ses besoins en travaillant comme commis aux écritures puis comme caissier avant de découvrir sa voie et d'écrire livre sur livre avec une extraordinaire prolixité.

Pour l'anecdote, on notera que ce célibataire endurci a écrit des livres inattendus comme ce "Tableau analytique du cocuage" avec description et force détails sur soixante-dix manières d'être cocu, ou "Le nouveau monde amoureux" ou encore "Vers la liberté en amour". Il n'en est pas resté là en matière d'excentricité. Il croyait aux extraterrestres, à ces "Solariens" capables d'exploits prodigieux grâce aux mouvements et aux propriétés surprenantes d'un étonnant membre surnuméraire. Mais il découvre surtout "l'attraction passionnelle" qui aura une grande influence sur son œuvre. Il en déduit que "le bonheur consiste à avoir beaucoup de passions et à les satisfaire toutes". Distinguant mal ses rêves de la réalité, Fourier était persuadé qu'il avait été choisi par Dieu pour révéler aux hommes la théorie de l'harmonie universelle et pour les guider vers un avenir radieux et un bonheur indicible.

Fourier est et reste connu pour ses livres importants sur les sciences sociales : "Le nouveau monde industriel et sociétaire ou invention du procédé d'industrie attrayante et naturelle distribuée en séries passionnées" et "La fausse industrie morcelée, répugnante, mensongère et l'antidote, l'industrie naturelle combinée, attrayante, véridique, donnant quadruple produit". Il constate que si l'homme n'est guère attiré par le travail c'est parce que celui-ci est rebutant, mal organisé et peu valorisant. Fourier imagine alors un système capable de procurer à toute la population non seulement une occupation agréable et stimulante, mais aussi propre à la mettre à l'abri du besoin, et en plus susceptible de lui apporter le bonheur. C'est le phalanstère.

Construit pour abriter quatre cents familles ou mille cinq cents personnes, le phalanstère est organisé comme un hôtel avec ses grands services collectifs permettant des économies d'échelle très importantes. Mais, à côté des dispositifs communautaires, chaque famille dispose d'un logement privé où son intimité est préservée et son indépendance sauvegardée. Le phalanstère possède une profusion d'installations comme des salles de repas, de conseil, de bibliothèque, d'étude et une quantité de départements tels que temple, télégraphe, pigeons de correspondance, carillon de cérémonies, observatoires. Composée pour moitié de pauvres et pour l'autre moitié de riches, la population du phalanstère est d'origine diverse et de condition sociale variée. Ainsi les pauvres connaissent enfin les avantages du confort et les riches atteignent aux sentiments humains. Les occupants apprennent à se connaître pour s'apprécier et ainsi vivre en harmonie. Ils sont employés au travail-plaisir. La division du travail est portée au suprême degré pour l'efficacité, mais on change d'activité huit fois par jour pour le plaisir. Celui-ci est encore accru par l'organisation de compétitions de production et autres activités ludiques.

Mais le point magistral, ce que Fourier appelle d'abord "l'association industrielle", est l'invention de la coopérative, et pas seulement d'une association volontaire de travailleurs, mais d'un ensemble comprenant une organisation intégrée de coopératives de production, de consommation, de logement, de vente et de distribution. Les économies réalisées par ce procédé quadrupleraient, disait-il, l'efficacité des fabriques et manufactures traditionnelles. Les hommes associés, ajoutait-il, seront toujours plus efficaces que l'Etat. Le fouriérisme est donc un rassemblement d'associés avec sanction du marché mais sans État.

Fourier voyait le phalanstère comme une société par actions aux dividendes de 30 p.c. au moins, selon ses promesses aux financiers. Les travailleurs seraient des associés et non plus des salariés. Le capital recevrait 4/12 du revenu, les travailleurs 5/12, et les cadres 3/12. Les associés sont assurés de toujours gagner plus que leur entretien. Fourier ne propose donc pas un vrai socialisme mais une marchandisation. Les services collectifs du phalanstère sont payés par les travailleurs avec leurs dividendes. Il y a toujours des riches et des pauvres mais les économies d'échelle du système permettent à tous de vivre convenablement. La propriété privée est maintenue puisque les actions sont des titres de propriété. Et la hiérarchie, bien qu'élective, est conservée.

L'enthousiasme pour les idées de Fourier entraîna ses disciples à réaliser des phalanstères dont le plus célèbre, créé par Jean-Baptiste André Godin à Guise, produisait des appareils de chauffage. Ce Familistère comprenait une crèche, un théâtre et une école mais il se transforma finalement en société coopérative après trente années d'existence. Les fameux poêles Godin existent toujours. On note encore une cinquantaine de tentatives aux États-Unis sans que ces communautés fouriéristes se maintiennent durablement.

Maniaque de l'exactitude, Fourier se levait au chant du coq et se couchait avec les poules. Il écrivait chaque jour le même nombre de pages. Il rentrait chez lui ponctuellement à midi, heure fixée par lui pour rencontrer les capitalistes intéressés par ses projets et disposés à expérimenter son système. Il les a attendus pendant trente ans. Ils ne sont jamais venus.

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