lundi 19 février 2018

Capitalisme d’État et capitalisme bourgeois

Après l’omnipotence divine, le césarisme des rois, la tyrannie de l’aristocratie, l’absolutisme de la république bourgeoise et la sanctification du travail, voici la sacralisation de l’État.

Depuis la conversion au réformisme des maîtres à penser du socialisme, l’État est le tabernacle où le peuple est adoré. Alors que les nantis renforcent sans cesse leur emprise sur la société, qu’ils ont colonisé l’État avec un cynisme de patron, qu’ils se repaissent des dépouilles du peuple qu’ils volent par l’impôt, les partis démocrassiques à la botte occupent le terrain, calment les exaltés, récompensent leurs dévots, punissent les impies. Le peuple s’incarne dans la personne des représentants. La liberté défigurée trône au haut des tribunes du parlement. La pommade du docteur Miracle a encore prouvé son efficacité : l’État, c’est le peuple !

Depuis cette Révélation, les entreprises sont perçues comme destinées à appartenir au peuple, à l’État. Mais ce dernier n’a d’autre ambition que d’exercer le pouvoir, d’en jouir, de le conserver. Pour cela, comme il est au sommet, tout changement ne peut qu’être une menace. La politique de l’État est donc le statu quo. L’immobilisme garantit la stabilité de son pouvoir absolu. De même de ses entreprises qui sont toujours en situation de monopole et dont il justifie l’inefficacité par le nombre et la sécurité des emplois qu’il assure. Sur cette lancée, l’État est compris comme une propriété collective et les entreprises comme des pourvoyeuses d’emplois.

L’ancien régime tenait le peuple par la religion, par l’œil de Dieu fixé sur tous les actes, par le caprice du Tout-Puissant qui punissait mais récompensait aussi. L’État veille de même sur le peuple par la Sécurité sociale, par ses entreprises et monopoles, par des allocations et autres miettes. Mais comme Dieu avant lui, il est prompt à sévir contre les mécréants qui ne peuvent qu’être des ennemis du peuple dont il est, lui, la personnification.

Cette constatation ne date pas d’aujourd’hui. On lisait déjà dans Umanità Nova du 6 août 1920 : "Pour justifier son existence et faire qu’on le supporte, l’État, organe de domination et d’oppression, doit faire quelque chose, ou faire semblant de faire quelque chose pour les dominés. Et le meilleur moyen qu’il a imaginé est de faire dépendre les intérêts des gouvernés de la permanence et de la stabilité de l’État".

À l’étroit dans le cadre des États traditionnels, les nantis ont bombé le torse et fait éclater les vieilles entravent des frontières. Ils veulent un espace vital à leur mesure et ils ont créé de toutes pièces un Super État : l’Europe du capital et du profit. Comme aucun monopole ne s’est penché sur les fonts baptismaux du nouveau-né, il convenait de lui ouvrir les mêmes possibilités que celles réservées jusqu’ici aux anciens États appelés à disparaître dans l’ombre de cette nouvelle cathédrale du peuple. En attendant la constitution des super monopoles européens dont le capitalisme prépare l’avènement, les frontières doivent s’ouvrir et les petits monopoles actuels doivent être soumis à la concurrence de leurs congénères des autres États. Les capitalistes vont se manger entre eux sous le regard indifférent des anarchistes qui n’ont rien à faire dans ce panier de crabes. On organisera le passage douloureux de l’économie subsidiée aux oligopoles des riches, mais on remarquera que, contrairement aux slogans médiatiques, la Commission européenne n’impose aucune privatisation mais seulement la logique de l’abaissement des frontières : la fin des subventions.

Menacés d’être dévorés par des prédateurs encore plus affamés qu’eux, la camarilla des politiciens monopoleurs a réagi. Les caves se sont rebiffés. Ils ont battu le rappel de leurs fidèles, accapareurs et profiteurs, et les ont lancés dans la rue. Bientôt, par monts et par vaux dans l’espace européen, de longs cortèges se sont déployés où, bras dessus bras dessous, syndicalistes et parlementaires, capitalistes d’État et autres, bureaucrates mais aussi libertaires, se sont retrouvés pour défendre les nantis, leurs représentants et l’État béatifié dans ses œuvres.

Confondus sous les mêmes emblèmes, sous la même idéologie, anarcho-bolcheviks et anarcho-capitalistes ont défilé et agité leurs drapeaux rouges sous l’œil approbateur des parlementaires. Un État plus puissant –et donc plus policier– garantit la liberté du peuple, assurent ces libertaires emmenés par leurs gourous. Ces derniers, marxistes jusqu’au fond des baskets, ces curés du nouveau culte, plus imprécateurs que prédicateurs, ces barbouzes honteux qui fleurissent et se fanent comme genêts au printemps ont en commun la soif du pouvoir dont une gouttelette les sortirait enfin du caniveau où croupit leur ambition. Du haut de leur trahison, ils pourraient alors regarder la foule de moins bas, avoir peut-être leur nom dans le journal, être même au premier rang pour la photo : satisfactions misérables, deniers de Judas. Capitalisme d’État et capitalisme bourgeois, où est la différence ? C’est bonnet blanc et blanc bonnet, comme le répétait à tous propos l’un des leurs en d’autres temps.

Mais faut-il le rappeler encore ? Pour les anarchistes révolutionnaires, anticapitalistes et antiautoritaires, les monopoles d’État et les entreprises doivent être socialisés dans des mutuelles autogérées.

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