lundi 29 janvier 2018

Rosa Luxembourg

L'odyssée spartakiste est injustement méconnue. Parce que ses idées et son action la plaçaient en marge des thèses officielles et souvent même en opposition avec la pratique marxiste, Rosa Luxembourg a été poussée vers la coulisse et oubliée dans un recoin de l'histoire.

Issue d'une famille aisée, Rosa Luxembourg est née en 1871 à Zarnosc en Pologne sous occupation russe. Elle commence de brillantes études à Varsovie qu'elle doit interrompre précipitamment pour se réfugier en Suisse afin d'échapper aux poursuites que ses activités révolutionnaires ont entraînées. Après un doctorat en économie politique à l'université de Zurich, elle rentre en Pologne où elle s'oppose aux socialistes qui font de l'indépendance leur revendication principale alors qu'elle veut unifier les prolétaires polonais et russes pour renverser le capitalisme et l'autocratie tsariste. S'expatriant à nouveau et prenant la nationalité allemande, elle adhère au parti social-démocrate mais refuse bientôt les thèses réformistes de Berstein pour défendre le principe d'un marxisme révolutionnaire intransigeant. Elle constate avec colère l'installation du parti et des syndicats dans la société bourgeoise ; elle est déçue par l'évolution des mutuelles, des coopératives et des journaux, tous acquis à l'intégration et à la collaboration de classe, à l'acceptation du capitalisme.

En 1914, alors que les parlementaires sociaux-démocrates allemands mais aussi les socialistes des autres pays européens votent les crédits de guerre et exaltent les vertus patriotiques, elle restera farouchement internationaliste. Avec Karl Liebknecht, elle dénoncera le caractère impérialiste du conflit ce qui lui vaudra de passer la plus grande partie de la guerre en prison. En 1916, avec les dissidents socialistes allemands, elle fondera le mouvement spartakiste dont les options antimilitaristes et révolutionnaires le désigneront à la persécution.

D'abord enthousiasmée par la révolution russe de 1917, elle s'opposera rapidement à Lénine qui préfère un parti bien structuré de militants disciplinés aux improvisations de la grève de masse. De même des pratiques de Trotsky et des autres dirigeants bolcheviks dont elle dénoncera l'autoritarisme et les contraintes imposées par la bureaucratie inhumaine qu'ils ont mise en place.

Affamé par le blocus et humilié par la défaite, le peuple allemand se soulève en janvier 1919. L'insurrection spartakiste sera sauvagement réprimée par les sociaux-démocrates alors qu'ils auraient dû en prendre la tête. Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht seront arrêtés et tués à coups de crosse. Jetés dans le Landwehrkanal à Berlin, les corps seront retrouvés trois mois plus tard.


Journaliste, polémiste et écrivain de talent, Rosa Luxembourg a produit une œuvre considérable. Mais elle est surtout connue pour sa théorie de la "grève de masse".

Pour instaurer le socialisme, la controverse passionnait le landerneau socialiste où les ténors donnaient de la voix : soit le réformisme et l'action parlementaire, soit la révolution et la grève de masse proche de la grève générale chère aux anarchistes, à Fernand Pélloutier et son anarcho-syndicalisme. Rosa Luxembourg est une théoricienne et une adepte convaincue de la grève de masse qui, selon les socialistes de l'entre-deux-siècles, devait déboucher sur la révolution et le changement de société. Elle la décrit dans un style personnel et coloré : "Tantôt elle se répand comme une vaste marée sur tout l'empire, tantôt elle se fractionne en un gigantesque réseau de ruisseaux étroits ; tantôt elle jaillit du sol comme une source vive, tantôt elle se perd dans la terre. Elle est la pulsion vivante de la révolution et en même temps son plus puissant ressort…".

Son opposition au réformisme et son penchant pour l'action révolutionnaire auraient pu la rapprocher des anarchistes mais son marxisme butté l'a conduite à privilégier le rôle d'une élite intelligente destinée à exercer le pouvoir, à gouverner et émanciper une classe laborieuse ignorante. Un tel considérant l'écarte absolument de l'égalitarisme anarchiste même si elle a stigmatisé les unanimités fabriquées et les applaudissements laudateurs ratifiant les résolutions présentées aux soviets par la douzaine d'hommes ambitieux qui dirigeaient le gouvernement à Moscou. Les hasards de l'histoire et son destin tragique lui auront au moins épargné de voir son souvenir flétri par les excès que cause toujours l'exercice du pouvoir.

Conforme à la pensée de Marx et Engels, sa contribution ne sera cependant pas reconnue par les dirigeants du mouvement communiste. Lénine constatera dans une épitaphe acide : "Ce fut un aigle malgré ses erreurs". D'une éthique sévère, trop idéaliste et pas assez pragmatique pour les doctrinaires soviétiques, elle ne figure pas au Panthéon du socialisme au même niveau que les monstres sacrés ou sanglants du marxisme historique, pas plus qu'elle n'a trouvé grâce aux yeux des anarchistes antiautoritaires et égalitaires.

Critiquée et reléguée dans un rôle subalterne avant d'être finalement écartée de la scène et ensevelie dans la fosse commune des espérances socialistes, par son talent, sa sincérité et son martyre, Rosa Luxembourg aurait mérité un sort moins cruel.

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