lundi 13 mars 2017

Le concile n’en est pas resté là. Lancé à fond de train dans le brouillard, il allait réformer pour réformer, sûr que sa sagesse lui éviterait tout déraillement avant d’arriver dans le monde merveilleux de la solidarité et de l’égalité.

Entre-temps, les pères conciliaires allaient discourir, processionner, banqueter, et encore réformer, puis, après concertation, ils allaient patrociner, parader, festoyer, et encore réformer. À tout-va.

C’était comme un oiseau qui déniche un asticot ; il en fait son délice. C’était comme un corniaud qui trouve un os ; il le ronge jusqu’à la moelle. C’était comme un minet qui voit voler une mouche ; il l’attrape d’un coup de patte. Certains penchants ressemblent au vertige : ils sont irrésistibles chez la bête comme chez l’homme.

Le concile était atteint du prurit réformiste.

Le défi principal auquel le concile dut faire face et auquel il fit un sort surprenant fut la réforme de l’enseignement millénaire du rôle des juifs dans la mort de Jésus. Pour faire bonne mesure, d’un simple tour de passe-passe, le concile combla le fossé apparemment infranchissable que les comportements réciproques des juifs et des chrétiens avaient creusé entre les deux communautés.

La tâche était rude mais la volonté d’aboutir l’emporta en dépit de quelques écarts que le cartésianisme réprouve. Mais la théologie partage avec la philosophie la faculté de permettre aux magiciens du verbe de se lancer dans les pirouettes intellectuelles les plus inattendues.

Le Nouveau Testament fourmille d’assertions accusant les juifs d’être des déicides.

(Ac 5, 30) "Le Dieu de nos pères a ressuscité ce Jésus que vous, les juifs, aviez fait mourir en le suspendant au gibet."

(Ac 3, 13,14,15) "Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères a glorifié son serviteur Jésus que vous, vous avez livré et que vous avez renié devant Pilate, alors qu’il était décidé à le relâcher. Mais vous, vous avez chargé le Saint et le Juste ; vous avez réclamé la grâce d’un assassin, tandis que vous faisiez mourir le prince de la vie. Dieu l’a ressuscité des morts : nous en sommes témoins."

(Mt 27, 25) "Et tout le peuple répondit : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants !"

Le problème consistait à revoir les vérités millénaires que la doctrine chrétienne avait enseignées avec constance mais que l’exégèse moderne devait corriger à la lumière d’une plus juste lecture des textes sacrés. L’herméneutique néo-testamentaire actuelle a révélé qu’une signification sous-jacente mais véridique donnait des évangiles un sens plus général et profond que la tradition avait laissé dans une imprécision blâmable.

On voit que le concile savait se payer de mots.

C’est l’humanité tout entière qui est coupable de déicide sur la personne de Jésus-Christ à l’exception des juifs car ceux-ci doivent être écartés en tout cas de cette accusation. La persécution qu’ils ont subie au XXe siècle atteste qu’ils sont doux et incapables d’un acte aussi ignoble et infâme. L’épreuve a mis en évidence leur vraie nature : ils sont bons et honnêtes, pauvres et démunis, désintéressés et généreux, modestes et humbles, courtois et aimables, amicaux et affables, serviables et dévoués, intègres et sincères, beaux et propres.

Dans le même mouvement, le concile a abrogé la prière du vendredi saint appelant à la conversion des juifs pervers. Récitée depuis plus de mille ans, cette prière était une insulte à la communauté des juifs dont le sens moral est parmi les plus élevés qui soit. Le rapprochement avec les juifs ne pouvait évidemment passer par une conversion de ces derniers, mais au contraire, et compte tenu de leur idéal constant de probité et de loyauté, il fallait plutôt combattre pour une intégration des valeurs juives dans le christianisme.

Forte de l’exemple du concile et de ses exhortations, l’Église de France a demandé pardon aux juifs pour son attitude, son silence, son indifférence officiels pendant la guerre. Les juifs ont accepté du bout des lèvres ce regret tardif, circonstanciel, calculé. Les allemands sont, eux, enchantés. Les responsables des crimes ne sont plus seulement allemands. Les français revendiquent leur part d’assassinats et d’horreurs.

Ces changements de pieds successifs au regard d’un passé intolérant ont incité l’Église catholique à renouer avec le judaïsme. Alors qu’elle pouvait camper sur ses positions théologiques très solides, elle s’est aventurée sur des sables mouvants car les rabbins ne concèdent rien et exigent tout. Une place plus importante est maintenant consacrée dans la messe à l’Ancien Testament, à la Thora, au détriment des Évangiles dont l’autorité semble décidément se rétrécir au fur et à mesure de la présence plus soutenue des juifs dans l’Église. Le Nouveau Testament constituait non seulement un rempart contre l’hérésie mais aussi l’affirmation de la différence du christianisme, de son originalité à l’égard de toute doctrine. D’autres posséderaient-ils la vérité, ne serait-ce qu’une parcelle de celle-ci ?


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