lundi 6 mars 2017

Dès sa promulgation, la nouvelle messe de Paul VI fut introduite dans toutes les églises du monde. Le résultat fut aussi surprenant qu’inattendu.

Tous les dimanches, depuis un passé immémorial, les fidèles se réunissaient en nombre pour entendre la messe dans les églises des villes et des campagnes, car on en a construit partout au cours des siècles. C’est par millions qu’ils s’entassaient comme Ossa sur Pélion, qu’ils se pressaient les uns sur les autres, qu’ils s’amoncelaient en grappes bigarrées et se serraient dans les églises comme harengs en caque. La messe était célébrée dans le recueillement général devant ces foules agenouillées et ferventes. Mais avec la nouvelle messe de Paul VI, au moment même de son introduction, les églises se sont vidées comme par miracle. Tout à coup, alors qu’on attendait une adhésion générale, qu’on présumait que la socialisation de l’Église serait reçue avec chaleur et enthousiasme, le peuple des fidèles s’en détournait. On leur avait transformé leur religion, leur paradis, leur âme, leur éternité. Ils tenaient au latin qu’ils comprenaient par habitude, par répétition des mêmes mots ; ils ne voulaient pas qu’on leur enlève leurs coutumes ; il fallait respecter les croyances ancestrales. La messe était identique dans sa forme d’un bout du monde à l’autre. Dans toutes les cultures, les mêmes gestes présidaient aux mêmes rites, les mêmes mots étaient prononcés aux mêmes moments. L’unité des fidèles dans leur foi était partout. A présent, les messes ne se ressemblaient plus ; elles étaient toutes différentes d’une église à l’autre selon l’humeur de l’officiant ou le caprice du bedeau. Le plus intrigant peut-être dans ce bouleversement du cérémonial traditionnel et essentiel qu’était la messe, fut sans doute la rétrogradation du sacrement de la communion. Alors que l’hostie consacrée était regardée comme sainte, qu’elle était Dieu lui-même, que seul le prêtre pouvait la toucher avec les doigts, que le fidèle pouvait seulement la recevoir sur le bout de la langue, subitement, elle devenait un objet profane, ordinaire, sans valeur, inutile et même accessoire voire superflu. Elle avait perdu son auréole, sa sainteté. Le respect, la piété, la dévotion dont on l’entourait, la crainte même avec laquelle on la regardait se muait soudain en indifférence ou insouciance. Reçue dans la main, l’hostie n’était plus le corps du Christ ; c’était un morceau de pain que l’on pouvait glisser dans la poche, jeter dans le caniveau en sortant de l’église, ou même le ramener chez soi et se livrer sur lui à mille simagrées, à des profanations, des sacrilèges et autres horreurs. Pourquoi donc Vatican II a-t-il décidé de déboulonner la communion de son piédestal sinon pour nier la présence réelle dans l’hostie consacrée ? Mais on ne pouvait tout à coup supprimer un rite aussi essentiel. Il fallait y mettre les formes. On allait commencer par l’ébranler, par l’ébrécher, par ramollir sa structure et blettir sa consistance avant de l’abattre car il fallait en venir là. C’était le prix à payer pour rendre crédible l’aggiornamento tant vanté. "Comment en un pain vil Jésus s’est-il changé ?" Au XXIe siècle, dans une société socialiste et matérialiste, la présence de Dieu dans une hostie paraissait périmée ; cela ressemblait trop à une superstition. Il fallait devenir actuel et positif ; il fallait abandonner des concepts surannés, rétrogrades, aujourd’hui périmés. L’hostie consacrée fut offerte en holocauste pour ouvrir l’Église au socialisme dialectique. Il aura fallu attendre cinq cents ans pour commencer à donner raison à Luther. Alors qu’il était l’opprobre de l’Église, il commence à secouer la poussière de son manteau avant sans doute de trouver une place enviable dans les cœurs et l’esprit des catholiques.

Habitués à être obéis au doigt et à l’œil, les pères conciliaires furent stupéfaits par la révolte des fidèles. Ils n’en tinrent aucun compte. Les foules reviendraient dans les églises lorsqu’elles auraient compris l’importance des réformes et le bénéfice que l’Église tout entière en retirerait. Ils étaient persuadés d’être dans le vrai et le bon en dépit des apparences. Le Saint-Esprit n’avait-il pas été appelé à présider aux travaux du concile ? Mais on aurait pu aussi être moins sûr de soi et plus circonspect. On aurait alors compris que le Saint-Esprit n’inspirait pas le concile ; qu’il avait choisi de pousser les fidèles hors des églises pour faire connaître son désaveu ; qu’il avait décidé d’éprouver la sagesse des pères conciliaires en permettant au Malin de leur suggérer des décisions hérétiques au regard des vérités évangéliques.

Aujourd’hui, après un demi-siècle d’aggiornamento, les églises sont toujours aussi vides. Le concile Vatican II a déchristianisé la France, l’Europe et bien d’autres contrées. Il semble que seule la poussière entre encore dans les cathédrales. Abandonnées des foules pieuses, elles se désespèrent dans le silence et la pénombre. Le visiteur est désemparé. Parfois, s’il est attentif, il peut voir par intermittence briller les yeux verts d’un chat apeuré tapi dans l’ombre d’un chapiteau carolingien. C’est le dernier fidèle qui hante encore ces lieux désertés d’où Dieu s’est enfui. C’est tout ce qui reste du catholicisme, monument millénaire détruit de quelques coups de pioche par des idéologues orgueilleux.


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