lundi 27 février 2017

A Rome, après les quelques égratignures habituelles que les égos les plus susceptibles s’infligent les uns aux autres pour se faire valoir, le conclave portait le cardinal Roncalli sur le trône de Pierre. Âgé et malade mais d’aspect bonhomme, Jean XXIII semblait inodore et insipide comme une eau dormante. Il allait faire tapisserie en attendant que les différents clans en concurrence au Vatican se mettent d’accord sur une personnalité plus forte pour gouverner l’Église et la mener vers des lendemains radieux.

Le premier geste du bon pape Jean fut de rappeler à Rome le décidément indispensable monseigneur Montini qui se morfondait à Milan. Jean XXIII lui octroya illico la pourpre cardinalice et en fit le personnage le plus important du Vatican après lui-même évidemment.

Cet acte d’autorité détricotait l’écheveau tissé par Pie XII et relançait les spéculations quant à la direction que prendrait l’Église à présent qu’elle se trouvait à la croisée des chemins menant vers un renouveau printanier ou vers la consolidation des vérités évangéliques. Jean XXIII ne détela pas et poursuivi sa route sans reprendre son souffle. Il convoqua derechef un concile œcuménique au Vatican avec un ordre du jour rédigé par le favori Montini dont le projet était d’appliquer à l’Église catholique un aggiornamento tellement radical qu’il s’agirait d’une refondation plutôt que d’un rajeunissement.

Le concile Vatican II s’ouvrit en 1962 devant un parterre de près de 3.000 évêques, experts et théologiens. La solennité était au rendez-vous et consacrait l’importance de l’événement. Pour se rassurer, pour éviter qu’une mauvaise influence ne se glisse dans les travaux conciliaires qui allaient absorber l’attention des multiples commissions spécialisées, Vatican II fut placé sous le patronage du Saint-Esprit. Dans l’ombre, les jésuites se frottaient les mains. Toutes les pièces du puzzle se mettaient en place pour le grand chambardement.

Jean XXIII meurt en 1963 peu après l’ouverture du concile. L’inévitable, irremplaçable et indispensable cardinal Montini lui succède sous le nom de Paul VI. Le patronyme qu’il choisit est celui-là même du fondateur de la religion chrétienne auquel il se compare volontiers tant l’œuvre qu’il va accomplir est semblable à la sienne.

La clé de voûte du christianisme est la messe, culte mystérieux et miraculeux où Dieu lui-même apparaît sous les espèces. Toutes les églises du monde sont construites en vue de cette cérémonie sacrée. Les fidèles rassemblés y encensent leur Dieu dont la présence réelle, impressionnante et rassurante, merveilleuse et charitable, les réconforte dans leurs épreuves et efface leurs fautes.

C’est à ce monument de la chrétienté, hérité d’une tradition millénaire, que le concile va s’attaquer en priorité pour l’adapter aux temps présents. La messe est une célébration dont le sens profond n’est accessible qu’à un public instruit. Elle est présidée par le prêtre, un officiant revêtu de pouvoirs magiques dont le verbe latin en impose parce qu’il s’agit d’un langage relevé qui n’est compris que par l’élite mais qui reste incognoscible au commun auquel il s’adresse cependant. La messe est célébrée au milieu des ors et de mille ornements déployés en hommage au Dieu tout-puissant devant lequel on se prosterne et que l’on adore avec humilité.

Le concile va gauchir la messe, lui enlever son caractère sacré, en faire une cérémonie populaire et même un peu vulgaire car il faut que le peuple, jusque-là assistant, devienne acteur et soit pour l’essentiel l’officiant à la place du prêtre à l’exception, évidemment, du moment de la consécration. Le latin est jeté aux orties au profit de la langue vernaculaire. Ainsi, les fidèles pourront prier en sachant ce qu’ils disent, au lieu d’ânonner des formules dont ils ne comprennent pas le premier mot. L’autel est déplacé. Il est maintenant en face et proche de l’assistance. Le prêtre peut ainsi interpeller les fidèles et soutenir leur attention. Lors de la communion, et sans qu’on en comprenne le sens à moins qu’il ne s’agisse d’affaiblir la croyance en la présence réelle, l’hostie est posée dans la main plutôt que sur le bout de la langue. Cette modernisation de la messe devait marquer la volonté du Vatican de faire descendre la hiérarchie de l’Église au niveau du peuple et exprimer combien celui-ci devenait le principal acteur de l’office.

La messe nouvelle fut bientôt introduite dans toutes les paroisses et les églises. Les fidèles furent invités à adhérer à la catholicité sociale et à faire leurs dévotions selon des préceptes revus et corrigés dans le sens d’un progressisme moderne et bienvenu.

Les pères conciliaires se félicitaient déjà de leur excellent travail, de la sagesse avec laquelle ils avaient rafraîchi le masque sévère de la messe avant de lui composer un visage rajeuni, affable et accueillant. - Ils allaient déchanter et tomber de haut.


Aucun commentaire: