En 1945, alors que les soviétiques d’abord puis les alliés campaient sur les ruines encore fumantes de Berlin, le prestige de l’U.R.S.S. était immense. Par ses armées et le courage de ses soldats, elle avait vaincu à Stalingrad et poursuivi sa marche victorieuse jusqu’au cœur de l’Allemagne. Elle régnait sur la moitié de l’Europe et nul ne lui contestait l’énergie ni l’héroïsme ni la gloire. L’avenir paraissait lui ouvrir des bras chaleureux. Déjà, en France et en Italie, les partis communistes préparaient le Grand Soir et armaient leurs sections. Les élections auguraient des majorités pour les représentants de la classe ouvrière.
La réaction à l’ouest fut à la mesure de la menace. Les communistes des pays occidentaux furent sommés de remettre leurs arsenaux guerriers aux autorités régulières, de limiter dorénavant leurs activités à la propagande et aux élections sous peine d’une répression brutale, d’une annihilation aussi complète que définitive. Quant à l’U.R.S.S., alors que les cohortes des occidentaux fourbissaient déjà leurs armes, qu’ils poutzaient leurs chars, qu’ils astiquaient leurs milliers de bombardiers et en faisaient parade, elle dû limiter ses ambitions aux territoires que ses armées avaient conquis.
Mais tout cela n’empêchait nullement les populations de donner aux communistes leur confiance et leurs votes. Les efforts et l’argent des partis traditionnels se concentrèrent sur cet adversaire sans arriver à limiter son audience même s’ils réussirent à le contenir et à le reléguer dans une opposition turbulente, remuante et revendicative.
Les experts jésuites suivaient l’évolution des événements et en soupesaient les conséquences pour débucher l’avenir du refuge mystérieux où il se niche. Ils conclurent que le XXIe siècle serait communiste ; que le dynamisme marxiste l’emporterait sur le libéralisme vieillissant et stérile ; que, par conséquent, il fallait préparer l’Église à ce changement de civilisation pour éviter qu’elle ne soit emportée dans la tempête où le vieux monde s’écroulerait, encroûté dans ses contradictions.
La tâche était délicate et difficile à mettre en œuvre. Les jésuites réussirent à prendre langue avec des cardinaux de la curie et à rallier monseigneur Montini, un évêque progressiste et influent, enthousiaste et acquis aux idées modernistes. C’était l’étoile montante au Vatican et beaucoup voyaient en lui un candidat à la succession de Pie XII.
Une révision des valeurs du catholicisme était nécessaire car la tiare pesait de tout son poids sur les institutions ecclésiales. Il faudra desserrer l’étreinte de siècles d’autorité et donner au peuple des catholiques plus de libertés qu’il faudra compenser par une réduction des pouvoirs du pape lui-même.
Depuis l’origine, il y a deux mille ans, le message évangélique n’avait subi aucune révision, aucune mise à jour ; il était resté immuable et intouchable. Comment pouvait-il être encore accepté les yeux fermés ? Il ne s’agissait aucunement de le modifier, mais de revoir la manière dont il était transmis, de montrer que l’enseignement de Jésus était beaucoup plus moderne que ne le laissait supposer un discours sclérosé, fripé et portant son âge. Une lecture attentive et critique des évangiles montrerait combien Jésus pensait à gauche et combien son discours était révolutionnaire avant la lettre au point qu’il avait fallu attendre les temps présents pour s’en apercevoir.
Informé des préparatifs de la camarilla des jésuites, et alors qu’il venait d’interdire la poursuite de l’expérience des prêtres-ouvriers parce qu’ils se politisaient et se marxisaient, Pie XII fut épouvanté. En urgence, il prit les mesures indispensables pour conjurer la catastrophe qu’il appréhendait. Il refusa de coiffer du chapeau de cardinal l’encombrant monseigneur Montini et il l’expédia comme archevêque à Milan, une cage dorée et prestigieuse, mais éloignée de Rome et de ses cabales. Il s’assurait ainsi que ce personnage incommode et ambitieux ne lui succéderait pas. Rasséréné, Pie XII put mourir paisiblement.
Mais les jésuites ne restaient pas inactifs. Ils avaient mis sur le métier une relecture des évangiles pour en incliner l’enseignement dans la bonne direction. La Théologie de la Libération était appelée à un avenir immarcescible et à recevoir un écho universel ; elle fut inaugurée dans le pré carré des jésuites, en Amérique latine. On vit bientôt des prêtres en chaire de vérité exhorter leurs paroissiens à la révolte contre les propriétaires terriens et autres capitalistes ; les homélies appelaient les péons à s’armer pour libérer le peuple par la révolution. Il fallait forger par le fer et le feu un monde nouveau, solidaire et égalitaire. Dans les sierras, des prêtres firent le coup de feu et impatronisèrent ainsi une nouvelle manière de comprendre le sacerdoce et le devoir missionnaire ; ils introduisaient un nouveau mode de propagation de la foi, d’exaltation de l’évangile et d’incitation à la conversion au christianisme.
"Mon Royaume n’est pas de ce monde". Cet apophtegme a été compris par les jésuites progressistes de la deuxième moitié du XXe siècle comme une condamnation de la société telle qu’elle était du temps de Jésus et telle qu’elle s’était perpétuée pendant deux mille ans. Lorsqu’ils ont découvert que le XXIe siècle serait communiste, les jésuites ont entrepris d’édifier le Royaume en célébrant l’hymen du marxisme et de l’évangile dans la Théologie de la Libération. Leur ambition était de transformer ce monde mauvais en Royaume promis par Jésus. Le Royaume n’était pas spirituel mais bel et bien matériel ; il devait être régénéré, purifié, assaini et débarrassé des scories du passé. Ainsi, après avoir sauvé l’Église au XVIe siècle, les jésuites s’apprêtaient à l’arracher à nouveau aux abysses, mais cette fois d’une manière encore plus grandiose, en la rénovant depuis ses fondations jusqu’au haut du dôme de Saint-Pierre, en allumant les mille feux du socialisme vers lesquels les peuples se rassembleraient comme des papillons éblouis par la flamme de la foi revivifiée.
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