Dans le capharnaüm des écrits chrétiens de la fin du Ier siècle, un homme tenta le premier d'y mettre de l'ordre. Marcion était un nanti ; il avait les moyens de son projet. Chrétien convaincu, prêtre et théologien, il avait constaté l'opposition entre le dieu de l'Ancien Testament, violent, sanguinaire, jaloux, exigeant, et le dieu du Nouveau Testament, miséricordieux, généreux, doux et plein d'amour.
Marcion avait lu et étudié tous les manuscrits. Par exemple :
Ex 32, 27,28 : "Il leur dit : 'Ainsi parle Yahvé, le Dieu d'Israël : Ceignez chacun votre épée ! Circulez dans le camp, d'une porte à l'autre, et tuez, qui son frère, qui son ami, et qui son proche !' Les fils de Lévi exécutèrent la consigne de Moïse et, ce jour-là, environ trois mille hommes du peuple perdirent la vie."
Lc 6, 27,28,29 : "Mais je vous le dis, à vous qui m'écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous maltraitent. A qui te frappe sur une joue, présente encore l'autre ; à qui t'enlève ton manteau, ne refuse pas ta tunique.".
Ga 5, 22 : "Mais le fruit de l'Esprit est charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres.".
Comment réconcilier des textes aussi antinomiques ? Après de nombreuses hésitations, barguignages, études approfondies, Marcion restait néanmoins dans l'expectative. Il se décida finalement en observant que Paul lui-même mettait en garde contre les altérations, baraterie et autres piperies.
Ga 2, 4 : "Mais à cause des intrus, ces faux frères qui se sont glissés pour espionner la liberté que nous avons dans le Christ Jésus, afin de nous réduire en servitude...".
Convaincu de la corruption des textes par des intercalations ajoutées par des chrétiens judaïsants ou même par des israélites malveillants, Marcion décida finalement d'édifier son propre Canon en choisissant des textes incontestables et en supprimant les adultérations de manière à reconstituer les originaux.
Marcion élimine l'Ancien Testament en totalité ; il ne conserve que dix des épîtres de Paul tout en éradiquant les inclusions judaïsantes : Aux Romains, Première et Deuxième aux Corinthiens, Aux Galates, Aux Ephésiens, Aux Philippiens, Aux Colossiens, Première et Deuxième aux Tessaloniciens, A Philémon ; il rejette trois des Evangiles et ne garde que l'Evangile selon saint Luc mais en le faisant commencer en Lc 4, 14 : "III. Ministère de Jésus en Galilée.".
On ne connaît pas les documents dont disposait Marcion. Au début du IIe siècle, il pouvait posséder des originaux perdus aujourd'hui mais il pouvait aussi ne pas connaître certains autres manuscrits venus au jour plus tardivement. Les suppressions qu'il a apportées aux textes sont peut-être encore moins nombreuses que celles, de toutes façons légères, que ses détracteurs lui attribuent. Le plus remarquable dans la démarche de Marcion est qu'il n'a rien ajouté ni modifié ni abouté ni complété ; il s'est borné à supprimer ce qu'il estimait être des addenda qui n'étaient pas de la main des auteurs.
Marcion s'est longuement expliqué sur sa démarche, sur ses actes et sur sa doctrine dans ses "Antithèses", document des plus précieux mais perdu car les autodafés des adversaires du marcionisme ont fait table rase de tout ce qui pouvait rappeler l’œuvre de cet hérétique, excommunié et paria.
Le corpus de Marcion est constitué de textes incontestablement chrétiens dont toutes références à la religion judaïque sont écartées. Marcion croit ainsi avoir fait œuvre de vérité : le dieu de l'Ancien Testament est sanglant et punitif ; il n'est plus qu'une ombre qui se dissout ; tandis que le dieu du Nouveau Testament est amour, indulgence et vie.
De nombreuses églises marcionistes ont été créées à Rome et un peu partout dans l'empire romain. La fortune de Marcion a permis cette extension initiale en dépit de l'opposition de plus en plus virulente des hiérarques du catholicisme naissant qui redoutaient de plus en plus cette concurrence envahissante. En dépit des persécutions, le marcionisme s'est maintenu jusqu'à la fin du IIIe siècle avant de dépérir lentement sous les ostracismes.
La doctrine de Marcion n'est connue que par les écrits de ses détracteurs. Ceux-ci ont multiplié les attaques contre sa personne pour le déconsidérer et réprouver sa théologie. On connaît les nombreuses pages rédigées par Tertullien au IIe siècle dans lesquelles, pour pourfendre le marcionisme, il en rédige des épitômes pour mieux les détruire. La mauvaise foi de Tertullien est patente dans de nombreux passages où il cite l'Ancien Testament en le déformant pour accréditer ses dissonances d'avec son antagoniste. Il n'est sans doute pas plus honnête lorsqu'il transpose les textes de Marcion. Il reste qu'on a réussi néanmoins, en analysant ces écrits partisans, à reconstruire une partie significative du marcionisme non sans perdre une fraction appréciable de sa substance.
Finalement, en rejetant le dieu matérialiste de l'Ancien Testament, et en glorifiant le dieu spirituel du Nouveau Testament, Marcion a ouvert la voie au monothéisme dualiste en Occident : le manichéisme.
A partir du IIIe siècle, le caractère hérétique du marcionisme étant reconnu, les Pères de l'Eglise ont consacré toutes leurs forces à prouver, au moyen de la Bible des LXX, que Jésus était le Messie annoncé et qu'en lui s'étaient réalisées toutes les prophéties.
Comme les juifs ont été incapables de contrer les Pères de l'Eglise dont les travaux érudits ne supportaient aucune réfutation, ils ont corrigé la Bible des LXX et ont, finalement, au IXe siècle de notre ère, publié leur propre version de l'Ancien Testament : ce fut la Bible hébraïque.
Mais les chrétiens n'étaient pas non plus tout à fait satisfaits de la Bible des Septante. Au IVe siècle, saint Jérôme fut chargé de retoucher l'authentique et de traduire en latin un texte amendé : ce fut la Vulgate.
Ainsi, depuis lors, le monde entier lit et étudie des Bibles contrefaites en ignorant l'original qu'est et reste la Bible des LXX.
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